samedi 13 juin 2015

PALABRES AVEC LE SOUDEUR ET SON FILS

Je craignais beaucoup ce que j’avais projeté comme une confrontation. J’en avais d’ailleurs fait part au Président Dramane.

A partir de ce que le soudeur avait annoncé : 6 000 FCFA par pied, j'avais fait une estimation du coût total des pieds en ferraille. Il m'en fallait 40 si je prenais des pieds simples. Mais on peut aussi coupler les ruches et les installer sur un pied double. Or lorsque j'avais demandé le prix de ce pied double, le soudeur avait annoncé qu'il faisait ça au même prix. Ca semblait tellement incroyable que je lui avais fait répéter devant Moussa présent à ce moment-là.

Mon calcul avait vite été fait, j'avais commandé 20 pieds simples et 10 pieds doubles. J'économisais ainsi 60 000 FCFA.

Or voilà qu'au téléphone, quelques temps plus tard, le soudeur me faisait demander par l'intermédiaire du président de l'association locale, Dramane, une avance de 200 000 FCFA alors qu'il avait déjà perçu 50 000. Si vous avez suivi, le coût total des pieds de ruche ne devait pas dépasser 180 000 FCFA. Que se passait-il donc ???

J'étais agacée. Ces problèmes d'incompréhension, d'interprétation,  de traduction, sont permanents. La communication est difficile, chacun mettant sous les mêmes termes, des significations différentes, la langue et les réseaux faisant le reste. Là en l'occurrence, je découvre avec stupéfaction, que le soudeur pensait faire 100 pieds de ruche. Où a-t-il été chercher ça ? En fonction du prix de revient, il a pu être question de 50 ruches, voire 60, mais jamais il n'a été question de 100 ruches. J'en déduis que le soudeur a vu "GRAND", qu'il s'est vu percevoir des sommes importantes rapidement (mais ça c’est mon interprétation d’occidentale qui me met déjà en situation d’être agacée et je le suis).

Un peu plus tard, grâce à Djakaria le formateur qui traduit, j'apprends qu'il veut faire payer les pieds doubles deux fois le prix d'un pied simple. Si 6 000 FCFA était absurde, 12 000 FCFA l'est tout autant. Il n'y a jamais deux fois plus de travail, ni deux fois plus de ferraille. Nous décidons que le prix sera au maximum de 7 500 FCFA.

Lorsque nous allons voir le soudeur à Pia, les affaires sont bloquées. Il a arrêté complètement la fabrication des pieds et attend à la fois une autre avance d'argent et un accord sur le prix des pieds doubles. Son fils est présent et va batailler dur sur les prix. Personnellement, je suis dans un état d’esprit de confrontation. Ma décision est prise, s’il ne cède pas (et je ne m’attends pas à ce qu’il cède), je prends ce qui est déjà fait et je fais faire le reste ailleurs.

Les hommes sont réunis autour de l’atelier du soudeur. Il y a là Dramane bien sûr, le président de l’association, Moussa, le soudeur et son fils et un certain nombre de voisins intéressés par l’évolution de la négociation. La conversation se déroule très longuement en dioula.

Les hommes sont entre eux. Ni cris, ni injures, mais plutôt de longues palabres ! Des hommes vont et viennent, chacun donne son avis, le soudeur quitte à plusieurs reprises le terrain puis revient. Chacun déroule ses arguments calmement, seul le fils du soudeur plus jeune et moi-même qui n'ai pas cette culture, nous nous agitons. Je suis un peu frustrée de ne pas pouvoir suivre les conversations et qu’on ne me consulte pas, c’est tout de même moi qui ai les cordons de la bourse, non ? 

Dramane tape sur l'épaule du soudeur, c'est chaleureux, on perçoit de la complicité, de la solidarité.. Finalement, sans que j'aie du tout à intervenir, Dramane m'annonce que c'est d'accord, les pieds doubles sont à 7 500 FCFA. Je n’en reviens pas. Par contre, je refuse d'avancer la totalité du coût, c'est la moitié maintenant, le solde à la livraison (Hé, hé, chat échaudé !).

Admirable ! Admirable de consensus, de maîtrise, de savoir-faire, de stratégie efficace et non-violente. Je me retrouve vraiment « petite » avec ma volonté d’en découdre. Ces hommes ont véritablement une culture de la paix.

J’ai salué la performance et remercié longuement. 

Voici un extrait d’une lettre du célèbre écrivain malien d’origine peule, Amadou Hampâté Bâ :

« L'homme s'identifiait à sa parole, qui était sacrée. Le plus souvent, les conflits se réglaient pacifiquement grâce à la « palabre » : « Se réunir pour discuter, dit l'adage, c’est mettre tout le monde à l’aise et éviter la discorde ». Les vieux, arbitres respectés, veillaient au maintien de la paix dans le village. « Paix ! », « La paix seulement ! », sont les formules-clé de toutes les salutations rituelles africaines. L'un des grands objectifs des initiations et des religions traditionnelles était l'acquisition, par chaque individu, d'une totale maîtrise de soi et d'une paix intérieure sans laquelle il ne saurait y avoir de paix extérieure. C'est dans la paix et dans la paix seulement que l'homme peut construire et développer la société, alors que la guerre ruine en quelques jours ce que l'on a mis des siècles à bâtir ! »

Extrait  de « Lettre dédiée à La Jeunesse » d’Amadou Hampâté Bâ, écrivain malien, 1985 (6 ans avant sa disparition).





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